Le temps des crépuscules. 7. Le pouvoir de la nouveauté

La vie elle-même n’est pas un événement, mais seulement la possibilité d’événements. Sa douceur réside dans le passage du possible à l’actuel, parfois dans le contact de leur frontière. Le second est peut-être le plus doux. L’enfance est une période de marche continue le long de cette ligne. Dans la vie adulte, l’art nous permet de ressentir le souffle de la possibilité, mais plus encore — toute nouveauté, mouvement, esprit de changement.

C’est le passage de la possibilité à la réalité qui est important pour le cœur. En elles-mêmes, les «réalisations » sont vides, elles sont toujours dans le passé, alors que le cœur vit dans le futur, le passé ne le nourrit pas. (A ne pas confondre avec le « passé » comme base et sol de la culture — ici, la forteresse du passé protège le présent pour l’avenir.) Le pouvoir de la nouveauté est peut-être encore plus fort que le pouvoir du sexe, et même la combinaison de ces forces est presque invincible.

Cependant, en parlant du pouvoir de la nouveauté sur l’âme, il ne faut pas oublier qu’un psychologiste n’a pas le droit de parler de l’homme en général, mais seulement de ce qu’il sait — le plus souvent de lui-même. Il n’y a peut-être pas une seule « vérité sur l’homme » ; il existe un certain nombre de vérités concurrentes, parmi lesquelles l’esprit choisit la sienne — non arbitrairement, mais par affinité intérieure. Il est difficile de juger l’« homme en général », il est plus accessible de comprendre les types humains individuels. Le particulier est souvent pris pour le tout, tout comme la connaissance d’un certain type est parfois présentée comme la connaissance de l’homme. Plus encore: pour des époques entières, l’idée de l’homme est construite à partir de la connaissance d’un type, en négligeant le reste. Une époque est créée par des personnes d’un certain type et les crée à son tour. Ce type, autant qu’on puisse en juger, est inné, et c’est bon pour ceux qui sont nés « à temps ». Avec cette mise en garde, nous pouvons continuer.

La nouveauté est comme la liberté : l’absence tue, l’excès étouffe. La raison se dessèche sans nouveauté et se noie dans son excès. La révolution promet la nouveauté, et les peuples la suivent. La nouveauté, en quelque sorte, s’oppose à la culture — en tant que force de discipline interne, de sélection, d’évaluations qualitatives — bien qu’elle n’empêche pas l’entrée du nouveau dans le monde.

Pourquoi la nouveauté est-elle si tentante ? Il dissout les liens anciens, abolit les questions sans les résoudre, permet d’oublier, revient aux confins du possible et du réel — en général, revient à l’état enfantin de liberté, de légèreté et d’inconditionnalité.

Nous disons « nouveauté » et nous voulons dire mouvement ; l’un est le chemin le plus court vers l’autre. Une personnalité vive, concentrée, réceptive ne peut se contenter de son propre contenu, elle a besoin de mouvement, d’un changement d’impressions, sans elles, elle est menacée par l’obscurité intérieure et l’angoisse.

Le mouvement satisfait une certaine faim, mais pas par lui-même. Il existe aussi un mouvement vide, non nourrissant : le «sport », dont le sens est de libérer l’esprit des pensées. La «joie musculaire » ne nourrit pas la personnalité ; celle qui nourrit est la joie de l’esprit d’une augmentation du flux d’impressions. Le « sport » et le développement personnel sont généralement en quelque sorte opposés l’un à l’autre. Ou nous obtenons une personne qui pense et ressent, ou celle « sportive ».

Cela dit, tous les changements d’impressions ne sont pas revigorants. La nouveauté des «guerres et rumeurs de guerre », la nouveauté de la maladie, ne sont pas nutritives ; seule l’expérience du nouveau, libérée de la souffrance et de la peur de la perte, nourrit l’âme…

Timofeï Chéroudilo

Le temps des crépuscules — table des matières.

Visits: 24